La nébuleuse Alma by Luc Blanvillain

La nébuleuse Alma by Luc Blanvillain

Auteur:Luc Blanvillain [Blanvillain, Luc]
La langue: fra
Format: epub
Publié: 2020-05-12T16:00:00+00:00


9

Albert

Le lundi matin, rien n’était arrangé. Jade ne m’a pas sauté dans les bras en m’annonçant que l’horrible malentendu était dissipé, que tout était comme avant, désormais. Secrètement, j’espérais que mes suppositions sur Lu divine étaient erronées. L’idée que Jade ait pu ajouter foi à d’horribles allégations sur mon compte était trop consternante. Il faudrait bien que j’en aie le cœur net. J’aurais voulu n’être en rien responsable de sa désaffection. De sa défection. Qu’un drame l’ait bouleversée au point de lui rendre insupportable le souvenir de notre passé commun. Quelque chose de rassurant comme le divorce de ses parents, par exemple.

Mais non. Elle n’a rien dit. Ou plutôt, elle a dit des choses sans intérêt, indignes de nous, de nos rires de folles. Autrefois, tout était plus clair. On rompait définitivement avec nos meilleurs copains tous les deux jours. En vieillissant, il faut s’habituer au gris, à l’entre-deux, au flou. Les royaumes perdent leurs frontières.

Mais le vague, l’indécis, ont également leur intérêt. Par exemple, j’ai pu m’isoler avec Robin, pendant une heure de creux. C’est un autre avantage du lycée, ces trous dans l’emploi du temps. De loin les heures les plus intéressantes. En début d’année scolaire, le proviseur avait présenté ses excuses aux parents, dans une lettre : la multiplication des options ne permettait pas d’élaborer des emplois du temps resserrés. Sur le moment, je n’avais pas compris ce qu’il voulait dire. Maintenant, je sais. Notre grille hebdomadaire est criblée de vides confortables, des nids de néant, sans profs, sans obligations. Autre privilège, nous ne sommes plus contraints de filer en étude, de nous entasser dans une salle de permanence grouillante et surpeuplée. Comme de vrais humains, nous pouvons aller boire quelque chose à la cafétéria ou jouer aux cartes. On a aussi du temps pour l’amour.

— Ma mère est désolée, m’a menti Robin, quand nous nous sommes retrouvés à une petite table du foyer, vaste salle vitrée réservée aux élèves, où les surveillants s’aventuraient rarement.

Je l’ai dévisagé, incrédule.

— Quand elle est mal à l’aise, elle attaque. C’est sa technique.

J’ai soupiré.

— La vache. Elle devait être sacrément mal à l’aise.

Il a souri.

— C’est ma mère que tu traites de vache ?

— Non. J’aime bien les vaches.

Je lui ai expliqué, pour les A encadrant mon prénom. On a parlé du sien. Robin. D’après lui, le mot « robin » était péjoratif, à l’origine. Il désignait un paysan, donc un abruti, selon les critères aristocratiques de l’époque. Et aussi un homme de robe, un magistrat. Il nous était plus facile de parler du passé des mots que d’évoquer notre avenir. Alors je me suis assise sur ses genoux et j’ai insinué mes mains sous son blouson. Très vite, nous avons eu chaud et l’étymologie nous intéressait moins. Nous nous sommes embrassés comme si nous étions chacun pour l’autre un masque à oxygène. J’ai fermé les yeux, Robin a posé ses mains sur mes oreilles, m’isolant complètement du monde.

Puis quelque chose a heurté brutalement notre chaise.

— Pardon, les amoureux !

En rouvrant les yeux, j’ai vu un sourire éclatant et un tablier bleu.



Télécharger



Déni de responsabilité:
Ce site ne stocke aucun fichier sur son serveur. Nous ne faisons qu'indexer et lier au contenu fourni par d'autres sites. Veuillez contacter les fournisseurs de contenu pour supprimer le contenu des droits d'auteur, le cas échéant, et nous envoyer un courrier électronique. Nous supprimerons immédiatement les liens ou contenus pertinents.